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Une sonnerie vibra sur la passerelle, signalant l’arrivee d’un visiteur, et la silhouette de Kemper ne tarda pas a s’encadrer sur le seuil. LeSeur ne l’avait jamais vu dans cet etat ; le teint cireux, le cheveu raide, a moitie debraille, il donnait l’impression de n’avoir pas ferme l’oeil depuis une semaine.
— Un probleme, monsieur Kemper ? demanda-t-il en regardant machinalement du cote du commandant, imperturbable a son poste.
Cutter avait repris sa ronde sur la passerelle, laissant le soin au pilote automatique de guider la marche du navire. Un mariage heureux d’informatique, de mecanique et de technologie satellitaire qui dirigeait le bateau mieux qu’aucun etre humain n’aurait pu le faire, tout en gerant au mieux le carburant. A ceci pres que le pilote automatique avait ete programme pour conduire le paquebot a New York et non vers le port le plus proche, au grand chagrin de LeSeur.
— On a retrouve l’adolescente disparue, dit Kemper d’une voix sourde. En partie, tout du moins.
Un silence interloque accueillit sa declaration, le temps que LeSeur prenne la mesure de ce qu’il venait d’entendre.
— Vous avez bien dit… en partie ? s’informa-t-il, la gorge seche.
— On a decouvert ses visceres a l’interieur d’un mannequin dans une boutique de la galerie Regent Street. Au meme moment, des traces de sang, un bracelet abime et-.. et divers appendices ont ete retrouves par l’une de mes equipes au pied d’une rambarde du pont 1, sur babord arriere.
— Ce qui signifie que le reste du corps a ete jete pardessus bord, conclut LeSeur d’une voix blanche.
Toute cette histoire etait un vrai cauchemar et il eut la tentation de se pincer pour se reveiller.
— C’est effectivement ce que nous pensons, monsieur. L’iPod de la victime a ete repere sur le pont B, tout pres de l’acces a la salle des machines. Il semblerait qu’elle ait ete agressee la avant d’etre conduite ou portee jusqu’au pont 1. Elle aura ensuite ete tuee et decoupee sur le pont promenade et son corps immerge, moins les quelques… trophees conserves par le meurtrier qui les aura alors enfouis dans le mannequin d’un fourreur de Regent Street.
— Les passagers sont-ils au courant ?
— Oui, la rumeur s’est propagee comme une trainee de poudre. Les gens ne parlent que de ca et reagissent tres mal, comme vous pouvez vous en douter.
— C’est-a-dire ?
— J’ai personnellement assiste a plusieurs scenes d’hysterie. Il a meme fallu maitriser l’un des clients du casino Covent Garden. J’ai deja eu l’occasion de vous dire a quel point les mouvements de panique collective peuvent etre dangereux. Le commandant devrait declencher un code ISPS de niveau 1 et je vous suggere de renforcer des a present la securite au niveau de la passerelle.
LeSeur se tourna vers l’un de ses subordonnes.
— Faites verrouiller l’ensemble des acces a la passerelle. A compter de cette minute, plus personne ne passe sans autorisation.
— Bien, monsieur.
— Je vais voir avec le commandant pour le declenchement d’un code ISPS, poursuivit LeSeur a l’adresse de Kemper. Sinon, vous avez des pistes pour ce nouveau meurtre ?
— Aucune, sinon que le meurtrier semble avoir acces a toutes les parties du navire. Tout laisse a penser qu’il disposait d’une cle de la salle des machines et d’une autre lui permettant de penetrer dans cette boutique de Regent Street.
— Pendergast pense que l’assassin a reussi a se procurer un passe electronique.
— Ou bien une cle generale. On en a distribue des dizaines.
— Vous avez une idee du mobile ?
— L’assassin est un dangereux sociopathe agissant au hasard, a moins qu’il n’ait un but bien precis.
— Un but ? Mais lequel ?
Kemper haussa les epaules.
— Je ne sais pas. Provoquer un mouvement general de panique a bord, par exemple.
— D’accord, mais pour quelle raison ?
Comme son interlocuteur ne repondait pas, LeSeur hocha la tete.
— Je vous remercie, monsieur Kemper. Je vous serais reconnaissant de m’accompagner pendant que je fais mon rapport au commandant.
Kemper acquiesca a regret en avalant sa salive tandis que LeSeur rejoignait le milieu de la passerelle et se plantait devant Cutter, obligeant ce dernier a s’arreter.
— Commandant ?
Cutter leva sa grosse tete.
— Qu’y a-t-il, monsieur LeSeur ?
— M. Kemper vient de me signaler un nouveau meurtre a bord. Une jeune fille, cette fois.
Un eclair s’alluma dans le regard du commandant avant de s’eteindre aussitot.
— Oui, monsieur Kemper ? dit-il en se tournant vers le responsable de la securite.
— Commandant, une adolescente de seize ans a ete assassinee tot ce matin sur le pont 1. Certaines parties de son corps ont ensuite ete deposees dans le ventre d’un mannequin qui se trouvait en vitrine de l’une des boutiques de la galerie Regent Street. Elles ont ete decouvertes ce matin a l’ouverture du magasin. La rumeur s’est aussitot propagee et un vent de panique souffle sur les passagers.
— Avez-vous demande a vos hommes de mener une enquete ?
— Commandant, mes hommes ont deja toutes les peines du monde a faire regner l’ordre sur le bateau en tentant de rassurer les passagers. Avec tout le respect que je vous dois, nous n’avons pas les moyens de recueillir des indices, d’interroger des suspects et de mener une enquete digne de ce nom.
— Autre chose, monsieur Kemper ? demanda Cutter tout en scrutant son interlocuteur.
— Il me semble qu’il faudrait declencher un code ISPS de niveau 1 sur le bateau.
Les yeux de Cutter se poserent brievement sur LeSeur avant de croiser le regard de l’officier de quart.
— Monsieur Worthington ? Temps de navigation estime jusqu’a New York ?
— A la vitesse actuelle, monsieur, soixante-six heures.
— Et jusqu’a Saint John’s ?
— Vingt-trois heures, monsieur, si nous maintenons notre vitesse.
Une chape de plomb s’abattit sur la passerelle. Les yeux de Cutter brillaient a la lueur des ecrans. Enfin, il se tourna vers le chef de la securite.
— Monsieur Kemper, declenchez un code de niveau 1. Je vous demanderai egalement de fermer deux des casinos ainsi que la moitie des boites de nuit. Etablissez ensuite la liste des bars et des commerces qui ont fait le moins de chiffre depuis le debut de la traversee, fermez-les et affectez leur personnel au maintien de l’ordre sur le navire, dans la mesure de leurs capacites. Faites fermer les espaces de jeu, les centres de remise en forme, les salles de spectacle et veillez cette fois encore a reaffecter a la securite le personnel concerne. Le plus tot sera le mieux.
— Bien, monsieur.
— Faites boucler les secteurs susceptibles de contenir des indices relatifs aux differents meurtres. Interdiction a quiconque d’y penetrer, meme vous.
— C’est deja fait, monsieur.
— Quant a vous, monsieur LeSeur, poursuivit le commandant, vous voudrez bien faire respecter un couvre-feu de 22 heures a 8 heures jusqu’a l’arrivee au port, en veillant a ce que tous les passagers soient consignes dans leurs cabines. Demandez aux restaurants d’avancer les horaires des differents services afin que le dernier s’acheve a 21 h 30.
— Bien, monsieur.
— Tout service en chambre est annule jusqu’a nouvel ordre. Le personnel de nettoyage se contentera de faire le minimum necessaire. En dehors des heures de service, tous les membres d’equipage sont desormais consignes dans leurs quartiers. Sans exception. Je vous demanderai en outre de veiller a limiter les mouvements du personnel de bord a son strict minimum.
— Bien, monsieur.
— Je vous demanderai egalement de faire une annonce aux passagers afin de leur faire connaitre mes instructions, conformement au code international pour la surete des navires et des installations portuaires. Aucune infraction ne sera toleree quelles que soient les personnes concernees, sans distinction d’argent et de statut social, reel ou suppose.
Cutter se tut. Fige devant lui, LeSeur attendait l’annonce de la mesure la plus importante.
— Ce sera tout, monsieur LeSeur, ajouta Cutter.
Le premier officier ne faisait pas mine de bouger et il finit par se decider.
— Je suis desole de vous poser la question, capitaine, mais je suppose que le bateau s’apprete a rallier le port de Saint John’s ?
Cutter posa sur lui un regard glacial.
— Non.
— Mais pourquoi, capitaine ? articula peniblement LeSeur.
— Je n’ai pas l’habitude de discuter mes decisions avec des subordonnes.
LeSeur avala de nouveau sa salive.
— Commandant, si je puis me.,.
— Monsieur LeSeur, l’interrompit Cutter, Je vous demanderai de faire appeler sur la passerelle le second capitaine et de rester cantonne dans vos quartiers jusqu’a nouvel ordre.
— Bien, monsieur.
— Ce sera tout. Monsieur Kemper, je ne vous retiens pas davantage.
Sans un mot de plus, Cutter leur tourna le dos et reprit ses allees et venues.